Madame,
Je fais suite à votre courriel en date du 16 mai 2025, accompagné d’un courrier daté du
25 Février 2025, que vous indiquez avoir adressé à mon attention ainsi qu’à celle de
Madame Gaëlle AUGOYAT, déléguée syndicale nationale CGT des Gérants Casino, OU ?
À la lecture de votre message, je me permets de vous faire part de notre plus grande
stupéfaction. Madame AUGOYAT partage également cet étonnement : aucun de nous n’a
eu connaissance du courrier en question. Ce constat soulève d’emblée une interrogation
légitime quant à la traçabilité des échanges administratifs, ainsi que sur les garanties
minimales de bonne foi dans la transmission de documents officiels.
Le contenu de ce courrier appelle en effet plusieurs remarques de fond. Vous semblez
justifier l’absence de réaction de vos services à nos signalements par la supposée
existence d’une menace de recours judiciaire émanant de notre part. Cette justification
interpelle : faut-il comprendre que, désormais, la perspective d’une action en justice
serait considérée comme un motif suffisant pour exempter l’administration de ses
obligations légales de contrôle, d’enquête et d’intervention ? Une telle posture soulève
une inquiétude majeure sur l’exercice effectif des missions de la DDETS-DREETS,
notamment lorsqu’il s’agit de garantir le respect des droits fondamentaux des employés.
S’agissant du plan dit « d’accompagnement », vous n’ignorez pas qu’il a été mis en oeuvre.
Toutefois, vous renvoyez, concernant le Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE), à une
responsabilité exclusive du tribunal, sans qu’aucune analyse de fond ne semble avoir été
conduite par vos services. Ce renvoi systématique vers l’autorité judiciaire ne peut
qu’interroger, surtout lorsqu’il s’agit de manquements potentiellement massifs et répétés
à des obligations sociales essentielles.
Il est utile de rappeler, à toutes fins utiles, que la mise en place d’un PSE est une
exigence légale pour toute entreprise de 50 salariés ou plus procédant à au moins 10
licenciements économiques sur une période de 30 jours. Or, cela fait désormais plusieurs
mois que la société Casino procède à des vagues de licenciements économiques —
explicitement qualifiés comme tels dans les courriers adressés aux Gérants concernés —
sans que ne soit déclenchée la moindre procédure collective conforme aux prescriptions
du Code du travail. Dès lors, une question centrale se pose : quand une entreprise
procède à des licenciements par dizaines, voire par centaines, sans mise en oeuvre d’un
PSE, n’est-ce pas précisément à l’administration du travail qu’il revient de s’assurer du
respect de la législation en vigueur ?
Dans votre courrier, vous indiquez également ne pas donner suite aux alertes de
discrimination syndicale dont sont victimes les élus CGT, au motif que nous aurions
l’intention de porter ces faits devant la justice. Il convient ici de rétablir les faits : si nous
envisageons une action contentieuse, c’est justement parce que vos services ne semblent
ni constater les infractions, ni agir pour les faire cesser. Ce renversement de logique est
problématique. Il revient à faire reposer sur les victimes la charge d’un contentieux que
l’administration devrait précisément prévenir, ou tout au moins investiguer.
Le rôle de la DDETS-DREETS n’est-il pas de veiller, entre autres missions fondamentales,
à l’égalité de traitement entre représentants syndicaux, à la neutralité de l’entreprise
dans ses relations sociales, et à la prévention de toute forme de discrimination
syndicale ? Comment qualifier, sinon comme discrimination manifeste, une situation dans
laquelle des élus FO ou UNSA bénéficient de mutations dans des structures
particulièrement rentables — leur garantissant des rémunérations multipliées par quatre
voire par dix — tandis que les élus CGT sont systématiquement affectés à des points de
vente au chiffre d’affaires minimal, les plaçant de fait dans une situation économique
défavorable et fragilisée ?
Les agents de contrôle de l’inspection du travail peuvent également constater :
- Les infractions commises en matière de discriminations prévues à l’article
225-2 (3° et 6°) du Code pénal ;
Nous détenons à cet égard des éléments chiffrés précis, tels que des tableaux de
commissions et de résultats d’exploitation, illustrant de manière indiscutable ces écarts
de traitement. À ce jour, nous ne connaissons aucune mesure corrective, ni même
d’enquête ouverte sur cette situation. Comment expliquer que vos services n’aient pas
pris l’initiative de se saisir de ces éléments graves et documentés ? Est-ce à dire que
certains syndicats bénéficient d’une forme de tolérance voire de favoritisme, tandis que
d’autres, considérés comme trop revendicatifs, sont relégués à la marge, voire entravés
dans l’exercice de leur mandat ?
Concernant le plan d’accompagnement, il est par ailleurs opportun de préciser que celuici
a été signé par des organisations syndicales historiquement peu revendicatives sur ce
dossier, et qui n’ont pris part au débat que très tardivement, notamment à l’occasion de
leur audition par une commission parlementaire. Pendant des années, ces mêmes
organisations n’ont émis aucune alerte ni contestation sur la gestion sociale au sein de
Casino, et ont même semblé bénéficier de conditions outrageant favorables. Aujourd’hui,
l’entreprise affirme que ce plan d’accompagnement aurait été validé par vos services.
Pouvez-vous nous confirmer cette information ?
Et, dans l’affirmative, sur quelle base légale et après quel contrôle de conformité ?
Sur la question du reclassement des élus CGT, le constat est accablant. Chaque mois, des
élus sont écartés de leurs fonctions de Gérants non salariés, des procédures de
licenciement sont initiées sans qu’aucune mesure sérieuse de reclassement ne soit
envisagée a leur égard. À l’inverse, les élus FO ou UNSA bénéficient, eux, de mesures
concrètes : mutations selon leurs souhaits. Les élus CGT, quant à eux, sont écartés
de toutes les instances décisionnelles, notamment des commissions d’attribution des
supérettes, et doivent se contenter de candidatures à des structures déjà promises,
signalées comme « attribuées » dans les documents internes.
Or, le droit au reclassement est un droit fondamental, reconnu et encadré par la
jurisprudence, notamment celle de la Cour de Cassation.( n° 93-46640) Proposer à des
employés protégés de candidater sur des postes déjà attribués, tout en excluant leur
organisation syndicale des processus décisionnels, constitue une violation manifeste de
ce droit. Est-ce une pratique que vos services estiment conforme aux exigences légales ?
Enfin, les faits que nous dénonçons depuis des années — et qui s’accumulent — ne
peuvent plus être ignorés : - Des centaines de licenciements économiques sans Plan de Sauvegarde de
l’Emploi. - Des traitements discriminatoires à l’égard des élus CGT, tant en matière de
rémunération, que de mobilité ou de déroulement de carrière. - Des événements tragiques sur les lieux de travail : suicides par le feu, accidents,
décès, sans que des enquêtes ne soient diligentées. - Des signalements restés sans suite, des inspecteurs écartés ou désavoués
lorsqu’ils tentaient de faire leur travail.
Nous pensons notamment à M. Kevin GOUTELLE, dont les signalements sur l’absence de
commissions obligatoires et le non-respect des prérogatives des CSE sont restés lettre
morte. Ou encore à Mme l’inspectrice du travail de Toulouse,( Mme MAZERRESSE dans
l’affaire David MONTAGARD), qui avait documenté des discriminations dans la
rémunération des élus CGT, avant d’être écartée du dossier sans explication.
Que dire, enfin, de la passivité prolongée de vos services, pendant près de quinze ans,
nous avons sollicité à de multiples reprises Monsieur Dominique ROLS, alors Inspecteur
du travail à Saint-Etienne en charge des dossier Casino , afin qu’il intervienne face aux
atteintes répétées aux droits des Gérants et représentants du personnel. Ces
sollicitations sont restées sans effet : aucune mesure de contrôle, aucune enquête, ni
même de réponse formelle ne sont intervenues, en dépit de la gravité des faits signalés.
Cette inaction est d’autant plus alarmante lorsque trois élus CGT – délégués syndicaux et
représentants du personnel – ont été licenciés sans l’autorisation administrative pourtant
obligatoire pour les salariés protégés. Ces licenciements sont survenus peu après
l’implantation de la CGT dans le périmètre des Gérants, et ont été opérés en toute
illégalité, sans que vos services ne réagissent ni ne poursuivent l’employeur pour délit
d’entrave à l’époque des faits.
Cette absence totale de réaction interroge profondément quant à la volonté des
fonctionnaires des services de l’État à garantir, en pratique, la protection des
représentants syndicaux et le respect des droits fondamentaux lorsqu’il s’agit de Casino .
Ces faits posent une question de fond : existe-t-il aujourd’hui une volonté réelle de vos
services de faire respecter le droit du travail au sein de l’entreprise Casino ? Ou bien
assistons-nous à une forme d’effacement institutionnel, laissant place à des
arrangements informels et à une inaction préoccupante de l’autorité administrative, face
à des pratiques patronales et syndicales profondément inéquitables ?
Aussi, nous vous demandons formellement, Madame, dans le respect de vos fonctions et
de vos responsabilités, de bien vouloir nous faire connaître, de manière précise et
argumentée, la position de vos services sur l’ensemble des points soulevés dans le
présent courrier.
Et surtout : quelles actions concrètes entendez-vous engager pour garantir le respect des
droits fondamentaux des salariés et représentants syndicaux CGT au sein de l’entreprise
Casino ?
Pensez-vous réellement que le fait que la société Casino propose un unique magasin
« libre » à des dizaines de gérants — parmi lesquels figurent notamment des élus CGT —
avant même d’engager une procédure de licenciement, puisse être considéré comme une
véritable mesure de reclassement ?
Ou bien s’agit-il en réalité d’une forme déguisée de mise en concurrence entre gérants,
voire d’un « concours » pour l’attribution d’une supérette, dans lequel les règles sont
biaisées dès l’origine, puisque la décision finale revient à une commission dont la
légitimité est hautement contestable, car composée exclusivement d’élus des syndicats
FO et UNSA et des Cadres de Région ?
Dans ces conditions, peut-on encore parler d’équité, de transparence et de respect des
droits des représentants du personnel ? Cette stratégie, qui s’apparente davantage à une
manœuvre d’éviction qu’à une démarche sincère de reclassement, ne soulève-t-elle pas
de sérieuses interrogations sur le respect des principes fondamentaux du droit du travail,
en particulier en ce qui concerne la protection des représentants syndicaux et l’obligation
de loyauté de l’employeur ?
Le Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) constitue un dispositif central du droit du
travail français en matière de licenciements collectifs pour motif économique. Il s’inscrit
dans un cadre juridique rigoureux, essentiellement défini par les dispositions du Code
du travail, et renforcé au fil du temps par diverses réformes législatives. Parmi celles-ci,
la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 a apporté d’importantes
modifications, notamment en introduisant de nouvelles obligations à la charge des
employeurs, tant en matière de procédure que de contenu du PSE.
Le fondement légal du PSE se trouve principalement dans les articles L. 1233-61 à L.
1233-64 du Code du travail. Ces articles prévoient que toute entreprise de 50
salariés ou plus, qui envisage de procéder à un licenciement collectif d’au moins 10
salariés sur une période de 30 jours consécutifs, est tenue d’élaborer un Plan de
Sauvegarde de l’Emploi.
La DREETS n’a-t-elle pas, en tant qu’autorité administrative l’obligation légale et
réglementaire de veiller à la stricte application des dispositions du Code du Travail sur
l’ensemble de son territoire ?
Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Madame, l’expression de nos
salutations distinguées.